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L’agilité est une capacité essentielle pour les entreprises qui souhaitent réussir dans un monde en constante évolution. Elle permet aux organisations de s’adapter rapidement aux changements, de saisir les opportunités et de surmonter les obstacles. D’abord marginale, l’approche de l’agilité est devenue au fil du temps une nécessité pour les organisations qui souhaitent rester compétitives. Commençons par un petit retour sur cette évolution, en remontant aux origines de l’agilité.
L’évolution des sociétés modernes
Nos sociétés modernes se sont construites au fil du temps autour de 3 piliers principaux : le matérialisme, la verticalité et l’infinitude. Dès l’origine de l‘Homme, notre existence a progressé en fonction de l’énergie disponible pour produire de la nourriture et des biens.
Les activités telles que la cueillette, la chasse et les déplacements, effectuées par la force humaine, se déroulaient dans un environnement à la fois dangereux et incompréhensible. Grâce à leur capacité d’adaptation, en particulier par le biais de la créativité et de l’exploitation des ressources naturelles, les êtres humains ont réussi à concevoir des outils. Ces outils et armes ont fini par symboliser le statut et la puissance, consolidant ainsi la perspective matérialiste de notre espèce.
Dès que nous avons domestiqué des animaux capables de démultiplier notre production, nous avons fabriqué de plus en plus d’objets. La possession est devenue un marqueur social, et le matérialisme un pilier de notre évolution. La maîtrise des énergies fossiles a permis l’émergence de la société de consommation. Cette société est caractérisée par la production en masse de biens à des prix abordables, accessibles à un large public. Posséder est devenu l’objectif numéro 1, la société matérialiste un élément constitutif de nos modes de vie.
Parallèlement, les individus réunis au sein d’une tribu se sont dotés d’un chef, comme chez la plupart des animaux. Ce modèle vertical de pouvoir s’est d’abord imposé dans la société nomade. Lors de l’avènement de la société agricole, il s’est accentué en créant des échelons intermédiaires représentant localement le chef ou le monarque. L’avènement de l’écriture, puis de l’imprimerie, ont vu ce système vertical de pouvoir se décliner dans tous les pans de la société : le politique, le religieux, le militaire, la famille. Régner est devenu l’objectif numéro 2, la société verticale un élément constitutif de nos fonctionnements.
Enfin, il est clair que le modèle d’hyperconsommation, fondé sur l’idée de richesse illimitée, est une illusion. Sans tomber dans un excès « d’écologisme », nous devons reconnaître que les ressources de la Terre sont limitées. La prise de conscience écologique généralisée met ainsi à mal le troisième pilier de nos fonctionnements qu’est l’infinitude.
Internet fait s’effondrer nos 3 piliers de fonctionnement
Pour accélérer le fonctionnement de notre modèle économique, nous inventons des technologies toujours plus performantes, comme l’informatique et l’automatisation. L’Internet est venu ensuite, et on lui prête souvent des vertus majeures de rapidité et de partage de la connaissance.
Internet est la nouvelle source d’énergie du système économique. Il relègue au second plan l’énergie physique, en favorisant l’émergence de biens de plus en plus immatériels. La dématérialisation des achats, la création de nouvelles offres intangibles et la dématérialisation du lien social en sont des exemples. Un monde de l’immatériel se crée et se substitue progressivement au matérialisme.
Le premier pilier de nos fonctionnements, le matérialisme, s’effondre sous nos yeux. Nous ne nous en rendons pas compte, ou nous ne comprenons pas ce que cela signifie.
L’imprimerie nous permettait de communiquer de 1 vers tous, du chef ou du sachant vers la masse. Internet, lui, permet de communiquer de tous vers tous. La parole du sachant ou du chef est donc progressivement mise en doute. N’importe qui peut émettre des opinions, même si elles sont fausses ou dangereuses.
La démocratie politique est en danger, car la confiance en les élites s’effondre. Les organisations humaines, qu’elles soient familiales, professionnelles ou associatives, s’horizontalisent. Le second pilier de nos fonctionnements, la verticalité, s’effondre donc également. Et nous ne mesurons pas encore l’ampleur de cette transformation.
Enfin, il est clair que le modèle d’hyperconsommation, fondé sur l’idée de richesse illimitée, est une illusion. Sans tomber dans un excès « d’écologisme », nous devons reconnaître que les ressources de la Terre sont limitées. La prise de conscience écologique généralisée met ainsi à mal le troisième pilier de nos fonctionnements qu’est l’infinitude.
Un besoin d’agilité de plus en plus croissant
Les Trente Glorieuses, période de croissance économique exceptionnelle, ont donc vu s’imposer sans partage la croyance en trois piliers fondateurs : le matérialisme, la verticalité et l’infinitude. Cette croyance était si forte qu’elle laissait présager la pérennité de ce modèle économique.
Au milieu des années 1970, la crise du pétrole a constitué une première alerte. Cependant, les pays et les entreprises ont considéré cet événement comme une simple difficulté passagère. Ils se sont contentés de mesures palliatives, comme « la chasse au gaspi » en France ou l’optimisation des systèmes de production dans les entreprises. Mais la crise s’est prolongée, et les pays développés ont été contraints de délocaliser leur production pour réduire leurs coûts. Cette solution, pourtant absurde, a entraîné la suppression d’emplois industriels dans les pays développés et a créé une dépendance vis-à-vis des pays en développement, comme la Chine. Les conséquences de cette situation sont aujourd’hui très graves.
A la fin des années 1980, aux États-Unis, suite aux travaux de Rick Dove et du Paradigm Shift, l’agilité – capacité d’adaptation aux évènements extérieurs – est fortement apparue dans les entreprises. L’enjeu était de trouver une manière de produire plus souple et adaptative face aux défis de la crise qui s’éternisait. Ainsi est né le courant de l’ « agile manufacturing », inspiré des méthodes japonaises de production. Cette approche a donné naissance à une revue, à de nombreux colloques et à des associations qui sont encore actifs aujourd’hui.
Le second secteur touché par ce besoin d’agilité fut le management de projet informatique. À la fin des années 1990, des développeurs renommés se réunirent et constatèrent que leurs projets étaient systématiquement livrés en retard et ne répondaient pas aux besoins réels des clients. Ils imaginèrent alors une solution, baptisée « management de projet agile », qui consistait à mettre en place un processus itératif impliquant le client à intervalles réguliers. Ce mouvement est aujourd’hui très actif, avec des clubs d’agilistes présents partout dans le monde. La méthode de management de projet agile se généralise progressivement à tous les domaines industriels.
Le besoin d’adaptation étant de plus en plus pressant dans tous les secteurs, l’agilité a fini par toucher le champ des organisations. Au cours des années 2000, de nouvelles formes d’organisations ont vu le jour, visant à faciliter la communication entre les métiers — en supprimant les niveaux hiérarchiques et en autonomisant les différentes fonctions. Ces nouvelles formes d’organisations, telles que l’organisation neuronale, l’holacratie ou l’entreprise libérée, ont été expérimentées par de nombreuses entreprises. Cependant, nombre d’entre elles sont retournées à une organisation plus traditionnelle, et la majorité reste réticente à l’égard de ces nouvelles formes d’organisation. Les entreprises les plus importantes préfèrent encore un système de pouvoir régulé, au mépris des problèmes qu’il engendre, car il est incompatible avec l’évolution de la société.
On voit ainsi que le besoin est fort de rendre nos modèles régulés plus adaptatifs, sans toutefois perdre les qualités issues de la régulation, comme la maîtrise des coûts.
Vers un équilibre entre fonctionnements régulés et adaptatifs ?
Au fil du temps, l’effondrement de nos trois piliers de fonctionnement nous a fait passer d’un monde stable et prévisible à un monde VUCA (Volatile, Incertain, Complexe, Ambigu), puis BANI (Fragile, Anxieux, Non-linéaire, Incompréhensible), selon Jaimas Cascio. Dans ce monde, « la fragilité pourrait être combattue par la résilience et le lâcher-prise, l’anxiété par l’empathie et la pleine conscience, la non-linéarité par le contexte et la flexibilité, et l’incompréhension par la transparence et l’intuition ».
Et si notre monde de demain ne demandait qu’à être co-créé, dans un équilibre entre fonctionnements régulés et adaptatifs ? N’est-ce pas cela la véritable agilité ? Et n’avons-nous pas tous un rôle à jouer pour y parvenir ?